REFLEXION SUR L’AUTOEVALUATION ET LA COMMUNICATION ADMINISTRATIVE
Patrick Dumazert, aout 2025.
Dans le document « L'impact des nouvelles technologies sur les méthodes de communication interne en entreprise » une phrase retient mon attention : « Les méthodes traditionnelles telles que le réseau hiérarchique garantissaient la transmission des directives de la direction vers les échelons inférieurs… », et je voudrais en profiter pour mettre sur la table un sujet clé pour la gestion publique par résultats.
Disons d’emblée que ce propos centré sur les entreprises peut facilement être étendu à la problématique de la gestion publique. Je ne partage pas l’idée qu’il en va de même pour tous les sujets, loin de là, mais oui, dans ce cas, les principes généraux de la communication administrative sont valables pour les deux mondes, le public et le privé.
Ceci dit, cette forme dominante de communication administrative, verticale et descendante, qui domine dans l’administration publique, notamment dans les pays de culture politique autoritaire, doit être doublée d’une forme ascendante pour que l’évaluation puisse jouer le rôle qui est attendu d’elle, qui n’est pas seulement un rôle de contrôle ex – post mais (aussi) un rôle d’apprentissage, de rétro-alimentation et de génération de meilleures pratiques.
Il n’est pas suffisant de générer des évidences au niveau où les faits se passent. Ce n’est déjà pas une petite affaire, celle de sélectionner les faits et les convertir en données compilées et organisées, et encore moins celle de les « faire parler », comme j’aime bien dire, c’est-à-dire les convertir en informations répondant à des critères de jugement (et des indicateurs) et finalement à des questions évaluatives, elles-mêmes organisées selon les critères d’évaluation (les classiques critères CAD, et autres…). Mais ce n’est pas suffisant.
Il faut ensuite communiquer ces informations, analysées et argumentées, vers le « haut », vers les différents niveaux de la gérance, et la prise de décision. Et puisqu’il ne peut pas y avoir la même place en haut qu’en bas (sinon ce ne serait plus une pyramide, on n’a jamais vu une armée où il y aurait autant de généraux que de soldats…) cela veut dire qu’il faut organiser la communication administrative ascendante, en la concentrant selon une forme appropriée aux attentes des différents niveaux de gérance, selon les particularités de la culture institutionnelle propre à chaque entité, voire chaque état.
Il y a des cultures très centralistes, où les gouvernants au plus haut niveau veulent savoir chaque lundi ce qui s’est passé dans chaque commune la semaine précédente…, alors que d’autres formes de gouvernement sont beaucoup plus décentralisées.
Mais outre cet aspect, sans doute essentiel, des cultures institutionnelles particulières de chaque contexte, il y a aussi un aspect crucial, qui porte sur la nature des objets d’évaluation, lesquels selon nous savons, sont organisés (ou en tout cas organisables) dans le schéma conceptuel largement admis par la communauté des évaluateurs, celui de la théorie de changement. Avec les variantes que l’on voudra, celle-ci postule que les actions ont des produits, qui ont des effets, lesquels génèrent eux-mêmes des impacts.
Pour mémoire, car ce n’est pas le sujet ici : les produits sont des verbes substantivés (l’action de couper des pommes produit des pommes coupées) tandis que les effets impliquent des changements de pratiques de la part de sujets agissants (les consommateurs peuvent préférer acheter les pommes déjà coupées – ou non, d’ailleurs, c’est là où on juge la pertinence de l’action). Quant aux impacts, pour lesquels on notera que j’utilise le mot consacré, celui de « contribution », il s’agit de changements transformationnels, comme on dit maintenant. Dans mon exemple trivial on pourrait imaginer qu’à la longue les enfants finissent par croire que les pommes viennent déjà en morceaux sur les arbres…
Ce petit rappel étant fait, on comprend bien que les objets d’évaluation, notamment les indicateurs de résultats aux trois grands niveaux de la chaine logique, se modifient dans le temps, selon une temporalité propre à chacun d’eux, et donc le dispositif d’évaluation doit également avoir une dimension adéquate à cette temporalité. Pendant longtemps justement, les évaluations externes de résultats se sont faites à la fin des projets, pas seulement pour rendre des comptes à la clôture des opérations, mais aussi pour « laisser le temps » aux impacts de se mettre en place…
Sauf que, du coup, les évaluations, externes et ex-post, qui cherchaient avant tout les impacts (par des moyens « quantitatifs », utilisant des méthodes quasi-expérimentales, cessaient d’être utiles pour la gérance, puisque l’opération était déjà terminée lors que les rapports leur parvenaient. Leur devenir était donc (et c’est probablement encore souvent le cas) celui de se convertir en documents entassés, les dépôts virtuels ayant remplacé les étagères sans en changer la fonction. Ceux qui rêvent de faire de la science – et j’en fais partie – voudraient même avoir l’occasion de faire des évaluations « post-projets », quelques années plus tard, mais personne ne paie pour cela, en tout cas pas dans le monde du développement.
D’où ma proposition (formulée il y a déjà un peu plus d’une vingtaine d’années), qui consiste principalement en ceci : évaluer sur la marche la génération des effets, réconciliant ainsi la dimension temporelle et la dimension logique, en se concentrant sur le chainon essentiel au centre de la théorie de changement, celui des effets, tout en prenant soin d’interroger la réalité transformée par l’action, au-delà du simple suivi des « outputs ».
Forte de ces analyses réalisées à différents moments de l’implémentation, l’évaluation peut pour alimenter des mécanismes de communication administrative ascendante, avec des analyses génératives, c’est-à-dire informées par les analyses réalisées lors du moment évaluatif précédent. Il ne suffit pas de dire à un moment quelconque que tel indicateur atteint telle valeur, mais aussi comment cette valeur momentanée se situe par rapport au moment évaluatif précédent, et accompagner cette comparaison de l’interprétation qu’elle mérite, sans oublier les comparaisons habituelles avec les valeurs de départ et celles attendues à l’arrivée.
Post data. La proposition comprenait aussi un ajout : un des mécanismes de communication ascendante en question pourrait être, a la limite, celui de la « salle situationnelle », une proposition inspirée de la gestion sanitaire et de la gestion de crise en général, mais il est évident que celle-ci, avec les technologies virtuelles et même la réalité augmentée, devient par nature caduque, à partir du moment où cela revient au même « d’être sur place » ou de rester chez soi devant un écran.
Guatemala
PATRICK DUMAZERT
Lead
ANUBIS
Posté le 28/08/2025
REFLEXION SUR L’AUTOEVALUATION ET LA COMMUNICATION ADMINISTRATIVE
Patrick Dumazert, aout 2025.
Dans le document « L'impact des nouvelles technologies sur les méthodes de communication interne en entreprise » une phrase retient mon attention : « Les méthodes traditionnelles telles que le réseau hiérarchique garantissaient la transmission des directives de la direction vers les échelons inférieurs… », et je voudrais en profiter pour mettre sur la table un sujet clé pour la gestion publique par résultats.
Disons d’emblée que ce propos centré sur les entreprises peut facilement être étendu à la problématique de la gestion publique. Je ne partage pas l’idée qu’il en va de même pour tous les sujets, loin de là, mais oui, dans ce cas, les principes généraux de la communication administrative sont valables pour les deux mondes, le public et le privé.
Ceci dit, cette forme dominante de communication administrative, verticale et descendante, qui domine dans l’administration publique, notamment dans les pays de culture politique autoritaire, doit être doublée d’une forme ascendante pour que l’évaluation puisse jouer le rôle qui est attendu d’elle, qui n’est pas seulement un rôle de contrôle ex – post mais (aussi) un rôle d’apprentissage, de rétro-alimentation et de génération de meilleures pratiques.
Il n’est pas suffisant de générer des évidences au niveau où les faits se passent. Ce n’est déjà pas une petite affaire, celle de sélectionner les faits et les convertir en données compilées et organisées, et encore moins celle de les « faire parler », comme j’aime bien dire, c’est-à-dire les convertir en informations répondant à des critères de jugement (et des indicateurs) et finalement à des questions évaluatives, elles-mêmes organisées selon les critères d’évaluation (les classiques critères CAD, et autres…). Mais ce n’est pas suffisant.
Il faut ensuite communiquer ces informations, analysées et argumentées, vers le « haut », vers les différents niveaux de la gérance, et la prise de décision. Et puisqu’il ne peut pas y avoir la même place en haut qu’en bas (sinon ce ne serait plus une pyramide, on n’a jamais vu une armée où il y aurait autant de généraux que de soldats…) cela veut dire qu’il faut organiser la communication administrative ascendante, en la concentrant selon une forme appropriée aux attentes des différents niveaux de gérance, selon les particularités de la culture institutionnelle propre à chaque entité, voire chaque état.
Il y a des cultures très centralistes, où les gouvernants au plus haut niveau veulent savoir chaque lundi ce qui s’est passé dans chaque commune la semaine précédente…, alors que d’autres formes de gouvernement sont beaucoup plus décentralisées.
Mais outre cet aspect, sans doute essentiel, des cultures institutionnelles particulières de chaque contexte, il y a aussi un aspect crucial, qui porte sur la nature des objets d’évaluation, lesquels selon nous savons, sont organisés (ou en tout cas organisables) dans le schéma conceptuel largement admis par la communauté des évaluateurs, celui de la théorie de changement. Avec les variantes que l’on voudra, celle-ci postule que les actions ont des produits, qui ont des effets, lesquels génèrent eux-mêmes des impacts.
Pour mémoire, car ce n’est pas le sujet ici : les produits sont des verbes substantivés (l’action de couper des pommes produit des pommes coupées) tandis que les effets impliquent des changements de pratiques de la part de sujets agissants (les consommateurs peuvent préférer acheter les pommes déjà coupées – ou non, d’ailleurs, c’est là où on juge la pertinence de l’action). Quant aux impacts, pour lesquels on notera que j’utilise le mot consacré, celui de « contribution », il s’agit de changements transformationnels, comme on dit maintenant. Dans mon exemple trivial on pourrait imaginer qu’à la longue les enfants finissent par croire que les pommes viennent déjà en morceaux sur les arbres…
Ce petit rappel étant fait, on comprend bien que les objets d’évaluation, notamment les indicateurs de résultats aux trois grands niveaux de la chaine logique, se modifient dans le temps, selon une temporalité propre à chacun d’eux, et donc le dispositif d’évaluation doit également avoir une dimension adéquate à cette temporalité. Pendant longtemps justement, les évaluations externes de résultats se sont faites à la fin des projets, pas seulement pour rendre des comptes à la clôture des opérations, mais aussi pour « laisser le temps » aux impacts de se mettre en place…
Sauf que, du coup, les évaluations, externes et ex-post, qui cherchaient avant tout les impacts (par des moyens « quantitatifs », utilisant des méthodes quasi-expérimentales, cessaient d’être utiles pour la gérance, puisque l’opération était déjà terminée lors que les rapports leur parvenaient. Leur devenir était donc (et c’est probablement encore souvent le cas) celui de se convertir en documents entassés, les dépôts virtuels ayant remplacé les étagères sans en changer la fonction. Ceux qui rêvent de faire de la science – et j’en fais partie – voudraient même avoir l’occasion de faire des évaluations « post-projets », quelques années plus tard, mais personne ne paie pour cela, en tout cas pas dans le monde du développement.
D’où ma proposition (formulée il y a déjà un peu plus d’une vingtaine d’années), qui consiste principalement en ceci : évaluer sur la marche la génération des effets, réconciliant ainsi la dimension temporelle et la dimension logique, en se concentrant sur le chainon essentiel au centre de la théorie de changement, celui des effets, tout en prenant soin d’interroger la réalité transformée par l’action, au-delà du simple suivi des « outputs ».
Forte de ces analyses réalisées à différents moments de l’implémentation, l’évaluation peut pour alimenter des mécanismes de communication administrative ascendante, avec des analyses génératives, c’est-à-dire informées par les analyses réalisées lors du moment évaluatif précédent. Il ne suffit pas de dire à un moment quelconque que tel indicateur atteint telle valeur, mais aussi comment cette valeur momentanée se situe par rapport au moment évaluatif précédent, et accompagner cette comparaison de l’interprétation qu’elle mérite, sans oublier les comparaisons habituelles avec les valeurs de départ et celles attendues à l’arrivée.
Post data. La proposition comprenait aussi un ajout : un des mécanismes de communication ascendante en question pourrait être, a la limite, celui de la « salle situationnelle », une proposition inspirée de la gestion sanitaire et de la gestion de crise en général, mais il est évident que celle-ci, avec les technologies virtuelles et même la réalité augmentée, devient par nature caduque, à partir du moment où cela revient au même « d’être sur place » ou de rester chez soi devant un écran.